Lorsqu’au moment de décoller à Saint Hilaire un 30 avril à 16h alors que les très rares voiles en l’air peinent à se maintenir au niveau du déco je règle mon téléphone en « ne pas déranger » pour une durée de 3 heure. Je me dis que c’est très ambitieux, voire présomptueux.
De beaux cumulus s’alignent 500m au-dessus des crêtes, mais pas une voile sur les crêtes, ni aux gencives. En venant j’ai aperçu deux voiles gratter à Château Narden sans réussir à sortir.
Bon, je me dis que si j’arrive à voler un peu et à me reposer sur le plateau ce sera déjà un beau programme pour une après-midi de congés posée à l’arrache à 14 heure, après avoir lâchement décliné 2 réunions ou mon absence a été très remarquée.
Premier défi, parvenir à enrouler le pseudo thermique du pilier Nord. J’y parviens plus ou moins et prend assez de gaz pour me lancer vers le Sud. Je ne vois personne me suivre. Il faut ensuite voler avec application et prendre tout ce qui monte pour se maintenir au-dessus des falaises, sinon c’est mort comme en témoignent les malheureux exclus qui 50m plus bas font de malheureux huit pour tenter de jouir encore un peu de ce temps de vol où l’apesanteur semble plus présente et palpable que d’habitude.
Château Narden, je suis bas et vérifie du coin de l’œil que l’atterro de secours de saint Nazaire n’a pas été transformé en parc d’attraction ou en ferme d’éolienne. Rassuré sur ce point je m’applique à essayer de survivre et, pourquoi pas, de revenir au-dessus du plateau histoire d’assurer un retour à la voiture sans avoir à taper le stop.
Je m’accroche à un tout petit thermique tel le morpion sur le pubis de sœur Marie-Thérèse et cet élan de piété me porte bonheur puisque sous ces airs de feignasse cet ascenseur gazeux me dépose à 1600m tout en douceur. De quoi me diriger maintenant vers la dent de Crolles qui a troqué son large chapeau prometteur pour un tout petit bitos, limite une casquette. Arrivé un peu bas au pied du pilier Sud l’opération grattage commence, chassez le naturel du morpion il revient au galop. Après un peu de gain en faisant l’essuie-glace sur les pentes à chamois, et oui après avoir lavé le pare-brise un conducteur précautionneux passe toujours la peau de chamois, bon je m’égare … après le coup de l’essuie-glace donc, j’enroule un thermique à la fois mollasson et déstructuré qui au prix d’une patience infinie et de quelques fermetures me permet de découvrir la dent de Crolles vue d’en haut et d’enfin sentir la douce aspiration du cumulus. Ces cumulus de nos jours ne sont vraiment pas vaillants, c’est pas comme avant. Non content de ne plus être coiffés d’anges joufflus jouant de la trompette (Je sais pas ce que j’ai avec la liturgie chrétienne ces jours-ci, sans doute un excès de vaticanneries parmi ces journalistes qui veulent absolument m’informer de choses dont je n’ai rien à foutre) ils ne daignent vous soutenir que lorsqu’on est déjà presque à leur lécher le cul.
Je suis seul sur les crêtes, le chemin est assez bien balisé, je me dis que si je ne fais pas de grossière erreur d’appréciation j’ai de quoi faire une petite ballade vers le nord et me laisser rentrer en finesse au parking. J’ai encore mal aux épaules de l’enroulage sans fin de la dent et je mérite un peu de relâchement intellectuel et musculaire.
Progression paisible, l’esprit en rêverie après la tension et l’adrénaline du début du vol. Alors que j’ai abandonné l’abri d’un cumulus pour m’avancer vers un deuxième qui me paraît trop loin pour le rejoindre sans passer sous le crêtes, ce qui serait la promesse d’une lente descente, quand même pas aux enfer, il ne faut pas déconner non plus, mais sûrement vers quelques prairies privatives dont le mal aimable propriétaire m’accueillerait avec toute l’animosité due à ces apprentis oiseaux infoutus de se poser sur les emplacements qui leurs sont réservés. Je m’avance disais-je donc, quand j’aperçois quelques fragments de brume, pas vraiment nuage, à quelques encablures. Cumulus en cours de dissolution, tel une assemblée nationale française à la recherche de la stabilité perdue ? Ou au contraire prémices prometteurs d’un cycle naissant vers un avenir radieux aux lendemains qui chantent. Arrivé à proximité de cet embryons ou carcasse en décomposition de nuage, le doute est encore permis, mon variomètre à précision électronique et signalisation sonore de mes déplacements verticaux m’informe que « ça monte ». Hooo, pas beaucoup, mais ça monte… Il s’agissait donc bien d’une nuage nouveau-né qui s’apprête maintenant à devenir un adolescent timide et incertain qui se demande si sa présence ici a du sens, si la vie vaut bien tout ça et pourquoi il existe. Et donc tel l’artisan qui mille fois sur le métier remet son ouvrage j’enroule, j’enroule, j’enroule, encore et encore. Je change de sens de temps en temps pour soulager les crampes qui finissent par gagner mes épaules aux proportions harmonieuses qui mettent en émoi la gent féminine. Bref, à force de tourner, tel un shadock qui pomperait, je fini par me retrouver à 2650m, altitude très honorable et inespérée. Il est 17h30, l’heure à laquelle les grands parapentistes commencent tous à se diriger dans un mouvement naturel aux origines ancestrales vers des lieux nommés « bar de l’atterro » où ils se regroupent pour des libations mystiques destinées à influencer les dieux pour la météo du lendemain. Tel Ulysse qui se fait attacher au mât du bateau je résiste à cet appel du plus profond de mon être et je me dis que certes ce n’est pas une heure raisonnable pour partir en Belledonne, mais après tout est-il raisonnable de trouver un plafond à 2650m à 17h30 sur une face Est de la Chartreuse ? Je vous le demande ! Tout cela n’est il pas un signe que de toute façon le monde est devenu un bordel incompréhensible et que seules les décisions les plus irrationnelles ont une chance de succès. Je fais donc une croix sur mon retour au parking. Et je ne pourrai même pas revenir chercher ma voiture en bus demain, ce sera le premier mai, jour de la fête du travail où, de façon logique, personne ne travaille.
Une fois bien engagé dans la traversée de la vallée du Grésivaudan, vallée du Grésivaudan dont les plus jeunes parapentistes parmi nous qui n’ont pas eu l’opportunité de découvrir les joies du funiculaire de Saint Hil et de sa bande son sur la géologie, les plus jeunes parapentiste disais-je donc, ignorent tout des péripéties des temps glaciaires et de comment la vallée s’est retrouvée là.
Alors que je franchi la rivière Isère j’aperçois 2 voiles qui se battent sur le Saint Génis. Elle ne se battent pas entre elles mais contre cette montagne qui ne leur offre pas les ascendances espérées. De tout le temps de ma traversée elles ne gagnent pas un mètre. Certes je suis perché mais tout cela est de mauvais augure. Effectivement arrivé au Saint Génis c’est mou, les bips du varios ne durent jamais plus de 2 secondes. Je fini par trouver un ersatz de noyau de thermique et je reprends mon manège de vis sans fin. Je me croirais dans Midnight express, quand les types tournent en rond à l’infini autour d’un poteau en récitant des incantions. Les thermiques de Belledonne sont comme ceux de Chartreuse, ils ne montent pas fort mais finissent par vous amener quelques part. Celui-ci, aimable marchepied, me met à portée du crêt du poulet où je retrouve la protection bienveillante des cumulus. Il faut là aussi enrouler longtemps mais les plafonds d’ici valent ceux de là-bas et je chemine donc entre 2200 et 2500. Approchant des Sept Laux je me dis qu’une repose sur le plateau est envisageable. Il faut encore jouer sur les trajectoires pour profiter des ascendances sans se faire piéger dans les dégueulantes. Les plafonds commencent à descendre un peu et je ne pars que de 2300 en direction de la Chartreuse. C’est un bien long plané le soleil dans les yeux, la Chartreuse se drape pudiquement d’un voile de brume, je cherche à reconnaitre le déco Sud, le but mythique où je rejoindrai la sainte bagnole. Je m’allonge dans la sellette et ramène les mains le long du cocon pour offrir le moins possible de prise au vent. Je fini par royalement passer un bon 15m au-dessus de la haie d’arbres qui offrent un dernier obstacle pour accéder à l’atterro dit « de l’office du tourisme ». Un virage et je suis posé.
Je me déséquipe, vérifie que XCtrack a bien enregistré ma trace, et à ce moment là mon téléphone sort tout seul du mode veille qui a atteint ses 3 heures. Comme quoi j’avais eu le nez creux avant de décoller et qu’il faut savoir être déraisonnable parfois.
Bons vols
Gilles MOUCHE